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Robert Zuili, cofondateur de Work Well Together : “La relation est le produit de nos interactions émotionnelles”

MONDE DU TRAVAIL

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13/12/2021

Il a évolué en entreprise, fondé un cabinet de conseil en ressources humaines, est psychologue clinicien diplômé, coach en entreprise, l’auteur de nombreux ouvrages*, spécialiste des questions liées à la Qualité de Vie au Travail, intervenant régulier sur RMC, accompagne les entreprises à restaurer le lien social… Et il ne s’agit là que d’un résumé du parcours et des activités de Robert Zuili. Son fil conducteur est celui des émotions : les dénouer, les comprendre et nous aider à les comprendre. Pour lui, elles sont au cœur de nos relations et demeurent pourtant encore méconnues, mal comprises et parfois, mal aimées. Il cherche d’ailleurs à sensibiliser les parents à l’importance d’une plus juste appréhension des émotions de leurs enfants (Comprendre les émotions de nos enfants, Editions Mango). Nous avons posé quelques questions au cofondateur de la plateforme Work Well Together afin de mieux cerner le rôle et la place des émotions dans la communication en général, mais surtout en particulier.
 

COM-ENT : Qu’est-ce qu’une émotion ? 

Robert Zuili : Quand on interroge des personnes sur leurs émotions, elles vont citer la fatigue, qui est un état, le dégoût, qui est une sensation, la frustration (un sentiment), ou la haine, qui elle est un ressentiment. On le voit, le concept même d’émotions fait l’objet de nombreuses confusions ; et c’est pour cela qu’il me semble important de poser au préalable la définition des territoires émotionnels. 

L’émotion, si on doit la définir, est une réaction aiguë, souvent non prolongée, qui est provoquée par un stimulus (un événement, une parole, une situation particulière). L’émotion induite se traduit par des réponses à la fois cognitives, physiologiques et comportementales. C’est une énergie à l’état brut, que nous ne pouvons pas toujours maîtriser. A côté de cet élément de base existent d’autres territoires émotionnels que sont les sensations, les sentiments, les ressentiments et les états émotionnels. Avant de pouvoir identifier les émotions que sont la peur, la colère, la joie et la tristesse, car pour moi, il n’y a que ces quatre émotions, nous confondons beaucoup de choses. Cette confusion dans nos différents ressentis n’est pas anodine : lorsqu’une chose n’est pas claire, nous avons du mal à la nommer, donc à la reconnaître, et par extension, à l’accueillir. 

Il est intéressant de souligner que nous pouvons ressentir une émotion sans être dans l’expression de celle-ci, ce qui ajoute encore du trouble à propos de l’émotion. Généralement, car nous jugeons l’émotion non pas pour ce qu’elle est, mais pour l’une de ses modalités d’expression, ce qu’elle produit. Au même titre que le vent, l’émotion peut être une caresse agréable ou quelque chose de violent. Et ce n’est pas parce qu’elle s’exprime de manière violente que cela fait d’elle une chose négative, qu’il faut contrôler à tout prix. Le sujet n’est pas d’estimer si l’émotion est bonne ou mauvaise, et cela, même si certaines émotions, comme la colère, sont inconfortables. 

Malheureusement, on apprend aux enfants à réprimer leurs émotions. Plus nous grandissons, et moins nous sommes à l’aise avec l’accueil de nos émotions. Le sujet est presque tabou en milieu professionnel, où qualifier une personne “d’émotionnelle” est souvent péjoratif, et véhicule l’idée qu’elle ne se maîtrise pas. A contrario, la rationalité est bien perçue, surtout dans la patrie de Descartes ! On aura tendance à opposer émotionnel et rationnel alors qu’ils ne s’opposent pas : ce sont simplement deux modalités différentes d’expression des émotions. La rationalité a tout de même comme terreau les émotions, car l’émotion préempte la raison. Dans les deux cas, l’émotion existe, sauf que dans le premier, elle est mise sous tutelle. Comprendre comment faire de nos émotions nos alliées, pour qu’elles viennent nourrir notre expression rationnelle : voilà le véritable sujet. 

Les émotions sont-elles porteuses d’un message ? Si oui, nécessite-t-il une réponse ?

Une émotion est forcément porteuse d’un message : il y a émotion quand il y a tension, agréable ou désagréable. L’émotion nous conduit à interpréter la situation ; c’est pour cela que nous appréhendons, d’un individu à l’autre, une situation de manière tout à fait différente. Nous sommes configuré.es de sorte que notre intelligence et notre raison vont vouloir valider nos croyances et donc nous aider à chercher dans la réalité des faits qui les légitiment. 

De plus, chacun.e d’entre nous, pour un même événement, peut ressentir des émotions différentes. La charge associée à une émotion est le produit de notre histoire personnelle (notre éducation, les croyances et les représentations que nous avons élaborées au gré de nos expériences émotionnelles et de leur déroulement). Chaque émotion se déclenche d’une manière précise : elle suit un protocole, elle est à la base d’“une chaîne de création de valeur”. S’il y a un dysfonctionnement dans le cycle émotionnel de son expression, le comportement (le résultat de ce cycle) ne sera peut-être pas à la hauteur des attentes initiales. En apprenant à gérer nos émotions, nous sommes capables d’accueillir nos ressentis et de comprendre que pour obtenir réparation d’un préjudice subi, il sera peut-être nécessaire de laisser l’autre s’expliquer. La compréhension permet la clôture fonctionnelle de ce cycle, aussi car l’explication permet de lever les doutes liés à l’interprétation de cette émotion.

Ce que nous percevons du monde n’est pas le monde, c’est ce que nous comprenons du monde à l’aune de nos émotions. Si nous gérions toutes et tous nos émotions de la même manière, nous aurions un même ressenti sur un même événement. C’est cette relation privilégiée avec nos émotions qui nous fait entretenir un rapport différent au monde qui nous entoure. 

C’est ainsi que pour certain.es, il n’y a que des preuves d’amour, il est tellement facile de dire “Je t’aime”. Pour d’autres, la preuve n’est pas suffisante, la verbalisation est nécessaire.

Y a-t-il un lien entre qualité relationnelle et interactions émotionnelles ?    

Il y a un lien et il est très étroit. C’est ce que j’ai découvert au bout de 15 ans de recherche sur les émotions. Grâce à mon métier de conseil en ressources humaines, j’ai observé que le facteur commun aux situations de crise était la dégradation de la relation entre les personnes. Or, nos relations sont le produit de nos interactions émotionnelles. Si nos interactions émotionnelles sont favorables, cela nous donne envie de travailler ensemble, la confiance s’installe et d’autres éléments agréables vont venir nourrir notre capacité à collaborer ; inversement si nos interactions sont défavorables. J’ai ainsi formalisé ce que j’appelle “La théorie de la corde”. Par analogie avec la corde, la relation n’est pas faite d’un seul tenant, elle est constituée de fibres, qui, bien entrelacées, vont faire la force de la relation. Ces fibres, j’en ai identifié 5, comme les doigts de la main, ce n’est peut-être pas un hasard !, sont différentes dimensions émotionnelles qui communiquent entre elles.  

Pour toutes les citer, il y a, d’abord, le feeling : la capacité à se comprendre, à s’entendre de façon quasi immédiate, à parler le même langage, à partager une même appréhension du monde. La compatibilité profonde se construit, elle, autour de nos valeurs ; l’alignement des valeurs entre deux ou plusieurs personnes facilitant la pérennité de la relation. S’ajoute à cela la complémentarité : notre aptitude à nous apporter mutuellement quelque chose ; et la connivence, le fait de ressentir les mêmes choses au même moment sans avoir besoin de parler : elle génère de la complicité. Et enfin, l’entente : si certain.es envisagent la relation comme un rapport de force, ils.elles seront enclin.es à mettre du conflit dans la relation, et inversement. 

Ces 5 dimensions, quand elles sont pondérées ensemble, donnent un indice relationnel qui indique la proximité ou la distance potentielles entre deux ou plusieurs personnes au sein d’une équipe. Il objective le taux d’effort à déployer pour réussir à travailler ensemble. Plus l’indice est faible, plus l’effort est important, voire coûteux. L’objectif de cet indice n’est pas de dire qu’il ne faut pas travailler ensemble mais plutôt de donner des préconisations, de définir un cadre théorique pour que la relation soit fonctionnelle, et que les efforts à produire ne soient pas douloureux. Dans les organisations, on vous choisit généralement pour votre compétence (qualité individuelle) alors que la porte de sortie est souvent la mauvaise qualité de la relation. Quand une relation est douloureuse, on a tendance à la laisser tomber. L’idée est donc de proposer aux entreprises des modèles où la relation est évaluée dès le début pour éviter cette issue dysfonctionnelle. 

Sommes-nous en pleine possession de nos ressources émotionnelles ? Comment les développer ?

C’est un vrai sujet. Certain.es disent qu’au plan de l’intelligence, nous n’utilisons qu’une fraction de notre cerveau. Je pense que nous procédons également ainsi pour les émotions. L’émotion est un lion dont nous sommes le dompteur, sauf qu’on ne nous a jamais donné le manuel pour le dompter ni appris à l’accueillir, mais plutôt à le mettre en prison. En agissant de la sorte, nous nous déconnectons de nos émotions et n’exploitons que très peu notre potentiel émotionnel. Lorsque nous ne sommes pas émotionnellement relié.es, il y a discordance entre nos intentions, nos actes et nos émotions. Alors que quand elle est accueillie, l’émotion aide à nourrir notre réflexion et à aligner nos intentions et nos actes, et peut devenir une véritable ressource. Ce lion a de toute manière besoin d’être libéré un jour, et si on le fait pas, cela se retourne contre nous (stress, maladie...). Que l’on le veuille ou non, nous sommes des êtres d’émotions. Là où le bât blesse, c’est qu’en nous présentant l’émotion comme une charge, nous sommes tenté.es de nous en débarrasser et non de lui laisser sa juste place. Cela impacte la qualité de notre relation aux autres et de notre perception du monde. En cela, l’enseignement des émotions est essentiel : il devrait figurer dans les manuels scolaires ; c’est pour cela que j’ai co-créé un jeu des 7 familles des émotions** à destination des enfants afin qu’ils s’épanouissent émotionnellement et relationnellement avec la complicité de leurs parents. 

L’empathie : est-ce aussi la curiosité portée à l’émotion de l’autre ?

Si on se réfère à l’étymologie du mot, l’empathie, c’est être capable d’accueillir la souffrance de l’autre. Cela ne veut pas dire souffrir avec lui, c’est souvent là qu’est la confusion. Si je souffre avec lui, cela veut dire que je suis émotionnellement perméable à son émotion, mais c’est parce que ma propre souffrance entre en résonance avec la sienne, et cela, ce n’est plus de l’empathie. Une seule personne réellement empathique ne sera pas affectée par la souffrance de l’autre mais sera en capacité de l’accueillir.

L’interprétation tient une place importante dans notre perception du monde : quel est le rôle de la communication pour éviter les réactions émotionnelles en chaîne ?

La relation interpersonnelle est le produit de nos interactions émotionnelles avec les autres ; cela veut dire que toute relation est fondée sur la coresponsabilité. Les conflits naissent généralement de notre propension à imposer notre ressenti à l’autre comme si c’était la vérité commune. Parce que nous allons générer chez l’autre des réponses adaptatives qui nous sont propres, chaque relation possède sa propre signature émotionnelle. Nos interprétations sont à la fois fonction de la qualité du message de l’émetteur et de la qualité d’accueil du récepteur. Or, nous ne pouvons pas connaître à l’avance cette dernière donnée, c’est cela le mystère de la relation : nous ne pouvons pas présager du produit de nos interactions émotionnelles. En acceptant ce principe de coresponsabilité, on saisit que pour qu’une relation évolue, il n’est pas possible de demander à l’autre de changer, qu’il nous appartient aussi d’ajuster certaines de nos postures et de voir comment l’autre s’ajuste en fonction. C’est ce temps que propose de gagner Work Well Together en accélérant la capacité à connaître l’autre, à s’accorder, pour s’engager sur des chemins de fonctionnements relationnels agréables. 

La curiosité peut-elle intervenir pour sortir de la spirale ?

Bien sûr. Mais pour être curieux.se, encore faut-il en avoir envie et pour cela, être suffisamment émotionnellement connecté.e : cela ne se décrète pas. Pour moi, l’émotion positive est l’oxygène de l’envie. Bien sûr, l’éducation compte énormément. En pensant protéger nos enfants de dangers potentiels, on leur décrit parfois un monde peuplé de menaces, ce qui ne va pas les aider dans la construction d’une estime étayée d’eux-mêmes. Tout est question de dosage afin de ne pas imposer notre vision du monde à l’autre, et est aussi fonction de la personnalité qui nous fait face : certaines personnes aiment improviser, quand d’autres ont peur de perdre le contrôle. 

“Agir sous le coup de l’émotion” : cela a un coût ? Si oui, lequel ?

“Le coup de l’émotion”, c’est l’aspect potentiellement destructeur d’un acte né dans l’émotion, sans que celle-ci n’ait été comprise ou accueillie. Suivant le cas de figure, ce coup peut blesser l’autre à différents niveaux : il peut faire peur, mettre en colère ou encore, rendre triste. S’il y a “coup”, la relation s’en trouve altérée ; cela signifie qu’il va falloir réparer. Le coût correspond donc à l’investissement nécessaire à la réparation pour restaurer la relation, la confiance. Ce coût peut être temporel et humain (s’expliquer, pardonner, légitimer son action), ou même financier. Pour en revenir à l’image de la corde, lorsqu’il y a coup, certaines fibres de la relation vont céder et fragiliser la solidité de la relation, qui peut se rompre complètement si elle ne repose plus que sur peu de fibres. C’est cela qu’il va falloir rétablir, et le coût correspond à l’effort, au travail nécessaire à cette remise en état.

* Les clés de nos émotions, Editions Mango ; Mieux communiquer grâce aux émotions, Editions Mango
** Le jeu des 7 familles des émotions

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