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Tendances de communication : Patience et longueurs du temps

LES ESSENTIELS

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10/03/2022

Les polyphonies temporelles 

En avril dernier, nous vous donnions rendez-vous pour la révélation du palmarès de la 34e édition des Grands Prix COM-ENT, et dérouler le fil des grandes inspirations de la communication 2020/2021. En raison du contexte sanitaire, cet événement s’est tenu pour la première fois dans une version 100 % online. Retour sur les 6 tendances par le biais de campagnes qui n’ont pas toutes été récompensées mais en sont tout aussi représentatives.

Le temps, c’est un peu comme le sens : on lui en demande beaucoup ; de l’instant à la durée, en passant par le rythme, le cycle, la date ou encore l’érosion, et bien sûr la météo ! Cela n’est peut-être pas un hasard si notre rapport avec celui-ci est parfois pour le moins orageux. Serait-ce du fait de sa polysémie ? La gymnastique consisterait à le remplacer par un autre mot et voir la distinction qui s’opère. Alors, peut-être, nos relations avec cette dimension fondamentale et néanmoins protéiforme s’en trouveraient éclaircies, apaisées. Observer cette polysémie en constante expansion sans que notre liaison avec cet insaisissable s’en trouve pacifiée est toutefois un curieux phénomène ; et alors même que l’on se plaint d’avoir de moins en moins de temps (pour soi), la technologie s’emploie dans le même… temps à nous en faire gagner.

Les sens du temps 


Boileau ne disait-il pas “Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément” ? “La physique (...) distingue le temps du devenir, le cours du temps de la flèche du temps : le cours du temps désigne le fait que “le temps passe”, qu’en passant il produit de la durée, bref qu’il engendre la simple succession des événements ; la flèche du temps renvoie quant à elle à la possibilité qu’ont les choses de “devenir”, c’est-à-dire de connaître au cours du temps des changements ou des transformations parfois irréversibles.” Cette distinction, c’est Etienne Klein, philosophe, physicien et directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui nous invite à la faire dans un article et une émission de France Culture : “Il ne faut pas confondre le temps avec ce qui se passe dans le temps. Dans la plupart des théories physiques, l’espace-temps est comme une scène de théâtre dont la structure serait indépendante de la pièce qui s’y joue : quoi qu’il s’y passe, cela n’a pas d’effet sur l’espace-temps lui-même (....). Mais, par un effet de contagion entre contenant et contenu, nous sommes portés à attribuer aux temps les caractéristiques des processus qui s’y déroulent. C’est ainsi que la vitesse est une sorte de doublure métaphysique du temps.

Mais alors, courons-nous après le temps ou à l’intérieur du temps ? Ou plutôt, pourquoi courons-nous après lui alors même que nous nous situons à l’intérieur de lui ? Serions-nous entré.es dans une ère d’injonction à l’ubiquité, aussi du fait de la multiplicité des écrans et de l’hégémonie de la rentabilité ? Pour en revenir à l’explication d’Etienne Klein, il est marrant d’observer qu’à l’époque du “contenu-roi”, le contenu (éditorial) souffre de la même confusion et subit la même dictature : à l’heure du snack content, le slow content fait figure de militant. Pour en revenir plus directement à ce qui nous concerne, les tendances de communication : si le temps n’est qu’un moyen devenu fin, comme l’écrivait Paul Valéry dans « Poésie et pensée abstraite », quelle est la finalité des contenus qui s’inscrivent dans une approche longue du temps ? Quelles sont leurs particularités et les bénéfices de ces formats “écologiques”, soucieux du caractère limité, rare, et donc précieux, de notre attention ?


Célébrer l’âge de la raison (d’être)


Quelques mois avant le début de la crise sanitaire, la loi PACTE a remis, dès 2019, les concepts de raison d’être et d’entreprises à mission sur le devant de la scène. Parce qu’ils s’inscrivent dans les statuts juridiques des sociétés, et façonnent, à ce titre, ce sur quoi l’entreprise va s’ériger/s’établir, ces fondamentaux doivent être solides, durables. Voilà ce qu’on peut lire dans un document réalisé par La Communauté des Entreprises à Mission : “Ce travail d’introspection est nécessairement long et requiert également des temps de maturation et d’itération, pour faire émerger et pour faire prendre progressivement conscience que ce qui était jusque-là totalement intériorisé et de l’ordre de la normalité, peut en fait être tout à fait singulier. Remonter l’histoire de l’entreprise, aller déceler les tournants, les décisions, les paroles, les écrits, les événements (réussites ou échecs) qui ont marqué l’organisation, faire parler ceux qui la vivent au quotidien ne peut se faire le temps d’un atelier. C’est une recherche, une plongée dans l’organisation qu’il est ensuite nécessaire de digérer, de discuter, pour prendre du recul et en distinguer les pépites et les points saillants. Ce travail d’introspection est par ailleurs cadencé par des itérations entre la définition de la raison d’être et celle de ses leviers pour la faire vivre (les engagements) pour garantir que la raison d’être est à la fois singulière et réelle (...). Ainsi cette phase incontournable requiert du temps, un processus itératif dont la durée ne peut être écourtée sans risquer de passer à côté de l’essentiel.

Parmi les campagnes déposées aux 34es Grands Prix COM-ENT, il en est certaines qui illustrent cette volonté d’accompagner et de valoriser le travail de fourmi que doit être la détermination de la raison d’être. De septembre à décembre 2020, Saint-Gobain a ainsi pris la parole avec une campagne de contenus, pensée avec l’agence La nouvelle, autour de sa raison d’être “Making the world a better home”. Conçue dans une démarche journalistique et avec la volonté de faire émerger un discours de preuves, cette campagne entièrement digitale lancée à l’occasion de la révélation de la raison d’être de l'entreprise, avait pour but de la faire connaître du “grand public averti” et de la crédibiliser. Pour ce faire, des axes thématiques ont été identifiés, et des contenus spécifiques déployés : 8 contenus au format long reads et 4 documentaires mettant en avant des expert.es internes et externes ; le tout, appuyé d’une activation sur les réseaux sociaux. 


Autre exemple, la MAIF, devenue, en 2020, une entreprise à mission. La même année, l’entreprise fondée sur un modèle d'assurance mutualiste singulier, où chaque sociétaire est à la fois assureur et assuré.e, inaugure la parution de son nouveau magazine interne, Entractes, élaboré avec Spintank. Cet “objet éditorial durable en résonance à la raison d’être* de l’entreprise” s’adresse à l’ensemble des acteurs du corps social de la MAIF (salarié.es ou militant.es mandataires du conseil d’administration). Il entend offrir à son lectorat une fenêtre sur le monde (transformations et tendances sociétales) tout en les sortant du quotidien pour ouvrir un espace de compréhension et de réflexion, tout en les confortant dans leurs engagements.  


Prendre le temps du récit

 

Ni passé, ni présent, ni futur mais les trois à la fois : voilà, sûrement le temps auquel se conjugue le récit. Quant au mode, il est sûrement aussi un peu conditionnel : la durée est la condition de son déploiement, quant à la chronologie, elle en est la structure. Est-ce le temps qui crée l’histoire ou l’histoire qui crée le temps ? En permettant de lier les événements qui se situent à l’intérieur de la boîte du temps et en les articulant entre eux, en leur offrant la cohérence nécessaire à l’assimilation des faits par notre cerveau, le récit est l’outil qui permet de s’approprier, de faire vivre et exister, de rendre tangible ou d’apprivoiser le temps. Il réduit la dissonance.

Loin de toute considération ésotérique, mais plutôt métaphysique, il nous faut 9 mois pour nous incarner, prendre corps. Le récit, pour se manifester, être accouché, suit également un processus lié à la prise de conscience historique, à son organisation, sa mise en forme, puis sa maturation. Cinq mois durant, de juillet à décembre 2020, Bouygues Bâtiment International a mis en œuvre, avec l’agence Nouvelle Cour, une campagne 360° nommée “Nos belles histoires”. Au cœur du dispositif comprenant un site Internet immersif et une vidéo de lancement, un recueil qui s’émancipe des contraintes des rapports extra-financiers pour laisser place aux récits dans le récit plus large et magmatique de la culture d’entreprise. Chaque témoignage valorise les actions solidaires des collaborateur.rices à travers le monde avec un traitement singulier, qui rend également hommage aux cultures locales. Un véritable exercice de mise en abîme de la construction (narrative et urbaine).

 

Autre exercice de construction du récit, dans la crise cette fois-ci, pour la SNCF, comme une perspective d’introduire la notion de développement en situation d’urgence. Avec “Sans précédent”, un ouvrage pour lequel l’entreprise ferroviaire publique a fait appel à l’agence Ici Barbès, c’est un travail de documentation, de narration et d’enquête sur le terrain qui est réalisé quatre mois durant par l’auteur indépendant Emery Doligé en plein cœur de la sanitaire. Le résultat ? Une matière vivante, basée sur les témoignages des agent.es, des dirigeant.es, des membres du Comité exécutif, mais aussi des équipes opérationnelles et des patrons des organisations syndicales. Une marque de reconnaissance, doublée d’un objet de mémoire.

La réflexion dans l’action

Peut-être perdons-nous trop souvent de vue qu’informer signifiait originellement “donner une forme”. Après avoir lancé l’Observatoire des fragilités sociales dans la Fonction publique en 2018, La Mutualité Fonction Publique publie, fin 2019, un mook ayant pour vocation d’instruire certains faits et chiffres. Cet objet éditorial de 116 pages conçu avec l’agence Okó est édité à 4000 exemplaires et destiné à alerter les décideurs sur les implications de la carence de protection sociale des agent.es publics, en première ligne face aux crises sanitaires et exposés aux risques (catastrophes naturelles, attentats). Des messages prémonitoires quelques mois avant le début de la crise liée au Covid-19.

Perspectives ou lignes de fuite ? 

Le nœud du problème se trouverait-il dans le fait que nous gérons le temps comme une ressource devenue une fin et qu’à force, nous l’épuisons ? Ou cette confusion vient-elle de sa nature à la fois immatérielle, homogène et immuable ? Perdons-nous de vue son caractère élémentaire ? Le temps ne peut, en effet, ni être accumulé, ni mort, il est, tout simplement, inexorablement, toujours égal à lui-même. Toutefois, il nous appartient peut-être de l’habiter sainement, in fine de l’investir, plus que de s’y dépenser sans compter. La présence et l’implication distinguent ces deux rapports. Lorsque nous dépensons ou nous nous dépensons, nous nous inscrivons dans un mouvement de consommation ou de consumation, qui implique une perte (de poids, d’un surplus d’énergie ou d’émotions… peu importe l’unité de mesure). Quand on (s’)investit, affleure l’idée d’un gain différé ; et c’est peut-être avec cette vision du temps qu’il nous faut davantage renouer. 

On le pressent plus qu’on ne le sait, changer notre rapport au temps, c’est peut-être aussi transformer l’équation énergétique, ou au moins changer la donne : maintenir ou renouveler son énergie plus qu’en perdre dans l’agitation et dans l’expression du syndrome typique des temps modernes, le FOMO (Fear of Missing Out) ; voire peut-être même monter en compétences, gagner en capacité (puissance). Comme le soulignait notre expert sur la tendance "Temps Long", Olivier Creusy, directeur du programme de l’ISCOM : “La profusion sans cohérence crée la confusion. Il est donc essentiel de prendre le temps de penser une stratégie qui, d’abord, s’enracine dans l’identité profonde de la marque, puis se laisse inspirer par une parfaite compréhension de l’époque pour aboutir à la définition et enfin l’expression d’un rôle, qui, parce qu’il aura été ainsi mûri, sera perçu comme légitime. Entre les résultats trimestriels et même les plans stratégiques à 5 ans, le temps long a du mal à trouver sa place alors qu’il est essentiel.” 

Sortir de la logique d’accumulation des expériences ne veut pas dire cesser d’apprendre, cela veut dire choisir, opérer un tri sélectif : “La vie est trop courte et trop précieuse pour la passer à nous distraire et à accumuler un trésor périssable. Cherchons plutôt à en comprendre le sens véritable et à enrichir notre âme”, aurait dit Socrate. Citation à laquelle on pourrait ajouter cette autre clôturant la fable du Lion et du Rat de La Fontaine, “Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage”. Trêve d’accumulation justement, mais gardons en tête qu’en matière de conduite (et de gestion du temps), tout est question de mesure, de dosage et presque d’omniscience : passer une vitesse avec un pied sur l’embrayage, une main sur le frein, le regard devant, tout en balayant parfois en panoramique avec un coup d’oeil dans le rétro. “Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation”** sous peine de voir le ciel nous tomber un jour sur la tête, ceci est une métaphore de météorologue et non de futurologue. Enfin, pour conclure sur une non élucidée : pouvons-nous durablement nous développer dans l’urgence ? Celles et ceux qui ont fait de l’argentique savent que la nuance est fonction du temps de révélation. Et de nuances, notre époque en manque parfois cruellement. 

*Raison d’être de la MAIF : “Convaincus que seule une attention sincère portée à l’autre et au monde permet de garantir un réel mieux commun, nous, MAIF, plaçons cette attention au cœur de chacun de nos engagements et de chacune de nos actions.”

**Citation extraite du film Les Trois frères des Inconnus 


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