Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

Tendances de communication : Les meilleurs des mondes

LES ESSENTIELS

-

10/02/2022

Une question de temps, une affaire d’espaces 

En avril dernier, nous vous donnions rendez-vous pour la révélation du palmarès de la 34e édition des Grands Prix COM-ENT, et dérouler le fil des grandes inspirations de la communication 2020/2021. En raison du contexte sanitaire, cet événement s’est tenu pour la première fois dans une version 100 % online. Retour sur les 6 tendances par le biais de campagnes qui n’ont pas toutes été récompensées mais en sont tout aussi représentatives.

Deux ans plus tard, il est beaucoup moins question du monde d’après, peut-être parce que, par la force des choses, nous avons réappris à penser au jour le jour et que le monde d’après n’est plus que celui de demain. Peut-être parce que l’actualité a aussi tantôt pointé du doigt sa finitude (il y a eu aussi des approches moins pessimistes selon lesquelles des leviers peuvent encore être actionnés) ou a eu envie de détourner le regard pour nous faire miroiter d’autres mondes, parfois réels mais lointains et encore hostiles, parfois virtuels et désirables par leur apparente perfection/contrôlabilité. Peut-être aussi car l’on est davantage dans la tentative de trouver de nouveaux récits qui permettront à nouveau de faire société. Une problématique quasi politique et éthique apparaît : comment faire société, y compris virtuellement. Quels principes fondateurs mais aussi quelles valeurs, et enfin, quel cadre contraignant ?

Reset ou repeat ?

Doit-on dire d’ailleurs “à nouveau” ou “de nouveau” ? La distinction entre les deux locutions est mince : de nouveau signifie “encore une fois”, quand à nouveau veut dire “une fois de plus et d’une façon différente”.  L’un relève de l’itération, l’autre de la reformulation. Parmi les tendances détectées à l’occasion des 34es Grands Prix COM-ENT figurait “La métamorphose” : elle s’employait précisément à mettre en lumière les évolutions sociétales et technologiques qui proposaient systématiquement un basculement vers une autre version du monde, tantôt “alternatif” ou “virtuel”, soit une mise à jour, soit un reformatage radical. Parfois bien sûr, elle a joué sur les deux tableaux et exploré la voie du milieu, l’hybride, qui entend introduire un peu de nuance et sortir le débat d’un fatalisme binaire opposant le développement scientifique et technologique et une approche dite “durable” du développement. 


Pour insuffler un peu de légèreté n'excluant pas une certaine profondeur, cette introduction aux métamorphoses du monde n’est pas sans faire écho à une réplique célèbre et poétique extraite du film “Astérix et Obélix, Mission Cléopâtre". On pouvait ainsi entendre Edouard Baer déclamer : “Vous savez, moi je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise situation. Moi, si je devais résumer ma vie aujourd’hui avec vous, je dirais que c’est d’abord des rencontres. Des gens qui m’ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j’étais seul chez moi. (...) Parce que quand on a le goût de la chose, quand on a le goût de la chose bien faite, le beau geste, parfois on ne trouve pas l’interlocuteur en face je dirais, le miroir qui vous aide à avancer. (...) Et finalement, quand des gens me disent « Mais comment fais-tu pour avoir cette humanité ? », je leur réponds très simplement que c’est ce goût de l’amour, ce goût donc qui m’a poussé aujourd’hui à entreprendre une construction mécanique... mais demain qui sait ? Peut-être simplement à me mettre au service de la communauté, à faire le don, le don de soi.” Sortie de contexte et transposée à la situation actuelle, cette tirade juxtapose de nombreux éléments et réflexions contemporaines : l’isolement, l’interdépendance, la solidarité, l’humain, la technologie (ici appelée construction mécanique) et la solidarité, “le service à la communauté”. Ces éléments et ces réflexions ont tous pour socle commun une approche utilitariste et la redéfinition du lien dans le monde d’après, qu’il s’agisse d’un monde “réparé” ou “réinventé”. 

Se reconnecter 


C’est à se demander si le monde serait devenu trop grand ou trop petit. Alors que les modèles alternatifs semblent pencher en faveur d’une approche locale et nous invitent à repenser la notion de territoire pour en redéfinir les contours, les modèles “technocentrés” ou “technophiles” tendent, au contraire, à repousser les murs, faisant fi des caractéristiques physiques des dimensions, ou carrément à en inventer de nouveaux, virtuels. Si la première proposition paraît davantage s’intéresser à la finalité, au résultat, de cette nécessaire évolution, la deuxième porte en priorité son attention sur l’outil (la technologie). Parfois, bien sûr, les deux manières d’aborder la problématique dialoguent et se rejoignent.

Comme évoqué précédemment, la pierre angulaire de ces réflexions, pierre angulaire ou nerf de la guerre ?, est celle de la redéfinition de notre rapport à lui, et, par extension, de nos interactions : leur matérialité, leur pérennité, leur soutenabilité, leurs potentielles dérives. La question des dérives souligne l’importance de s’attacher au comment, quand c’est souvent le pourquoi qui concentre les attentions. Elle interroge le choix de l’outil, celui avec lequel on transforme le monde, et de son impact. Plongeons au cœur des différentes formes de mondes esquissées dans les campagnes de l’année passée : elles ont en commun d’aborder la nécessaire transformation de notre mode/monde actuel de développement.

Un monde basé sur la redéfinition des valeurs

Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières”, disait le poète. Certains nouveaux venus sur le marché en ont fait leur crédo et relèvent le défi de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale en repensant, si ce n’est le modèle de société, le modèle de l’entreprise. C’est le cas de La compagnie des Lavandières, spécialisée dans l’entretien domestique, lancée à l’automne 2020 dans la région de Strasbourg. “Première entreprise libérante du secteur”, elle entend faire de l’épanouissement de ses collaborateur.rices, l’une des manifestations de sa responsabilité. Cela passe par une embauche en CDI à temps plein des “lavandier.es”, dont la rémunération a été fixée au-dessus de la moyenne, la mise à disposition d’une voiture de service et un contact direct avec la clientèle. L’autonomie semble être au cœur des préoccupations de cette structure au fonctionnement innovant : la création de la marque a été 100 % conçue en interne, du positionnement aux supports de communication. Et visiblement, la recette fonctionne et l’engagement plaît : La Compagnie des Lavandières est désormais présente à Angers, Reims et Strasbourg.         



Entre évolution et révolution, il n’y a qu’une seule lettre mais pas mal de pas à franchir. Alors que la première traduit une transformation progressive et continue, la deuxième implique un changement radical, un renversement. A défaut de “révolutionner”, on pourra au moins se révolter (Albert Camus) ou s’indigner (Stéphane Hessel) contre l’absurdité, et notamment contre celle des inégalités en invitant, avec conviction, à embrasser un monde fondé sur la solidarité. C’est le parti pris, ou presque, par le Secours Catholique en 2020 avec sa campagne “Rejoignez la révolution fraternelle”, pour laquelle elle a été accompagnée par l’agence Bastille. Autour d’un texte fort, un plaidoyer déclamé en slam par des personnalités publiques et d’autres moins connues, l’association créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale entend fédérer autour d'une vision de la société, qui doit à nouveau faire corps commun et pour cela se refonder sur l’un des concepts qui est dans la devise-même de la République française : la fraternité. Et si cette campagne visant tant le grand public que les pouvoirs publics nous conduisait à ouvrir une réflexion sur la (ré)affirmation des valeurs (et leur traduction en actes) comme facteur de révolution ou, à défaut, de changement ?           

 

Détour par l’hyper réalité, retour à l’humain 


Qui sait quelle forme prendra l’avenir ? Allons-nous vers une réalité perpétuellement augmentée ? Imaginer un monde dans lequel un système ultra perfectionné, totalement automatisé, permettrait de détecter les dangers quotidiens : c’est ce qu’a envisagé le groupe Imerys, spécialisé dans la production et la transformation des minéraux industriels, dans le cadre du “Safety Connect Day”, son rendez-vous annuel dédié à la sécurité. Le film destiné à l’interne “The Safety Guardians” réalisé à cette occasion avec l’agence Tulipes & Cie est une parabole immersive - futuriste diront certains, utopique pour d’autres - qui a pour vocation de revenir au réel (et à l’humain) avec un enseignement fort : ce système existe déjà bel et bien, il s’agit de chacun.e d'entre nous. Déjouant les fantasmes ultra-technophiles, ce film d’anticipation montre qu’en matière de prévention, le seul facteur réellement efficace demeure l’humain, et que la machine ne saurait complètement substituer la vigilance humaine.  

Correspondances 

 

Se servir des possibilités offertes par le numérique pour déplacer notre attention sur la réalité et l’environnement dans lequel nous nous inscrivons : c’est le procédé choisi par Axa Prévention dans la campagne “Vous avez la vie devant vous”, déployée de septembre 2019 à décembre 2020. En France, le téléphone est impliqué dans au moins 1 accident de la route sur 10. Partant du constat que nous sommes connecté.es en permanence, Axa Prévention prend la parole pour la première fois en 2019, par le biais d’un spot publicitaire diffusé en télévision et au cinéma. Le film est appuyé d’un solide dispositif digital, tous deux ont été conçus avec l’agence Hungry and Foolish. L’association fondée dans les années 80 par l’assureur français entend ainsi jouer la carte de la complémentarité et faire du "online to offline" en matière de sensibilisation et de prévention. Afin d’inciter les Français.es à ne pas regarder leur smartphone lorsqu’ils.elles se déplacent, une version 100 % audio du film est développée. Enfin, un service gratuit de diagnostic en ligne pour déterminer son niveau d'hyper connexion et une série de podcasts donnant la parole à des expert.es (psychiatres, sociologues…) complètent cette boîte à outils destinée à regarder ce qui s’offre à nos yeux et ainsi, à rester vigilant.es au volant.  
 

Autre vocation, mais même bascule du numérique vers la réalité quotidienne pour le Conseil Constitutionnel. En 2020, l’institution française lance une campagne épousant les usages : pas de révolution, mais une version 2.0 et 360 réalisée avec l’agence SAGARMATHA. A l’occasion des 10 ans de la Question prioritaire de Constitutionnalité (QPC), une procédure permettant à tout.e citoyen.ne engagé.e dans une action en justice de soutenir qu’une loi susceptible de lui être appliquée est anti-constitutionnelle, le Conseil Constitutionnel souhaitait à la fois célébrer la création de cette avancée majeure du droit et en accroître la notoriété́. En lieu et place du colloque traditionnel (et conventionnel), un dispositif innovant est mis en œuvre pour rendre accessible ce sujet complexe : des contenus éditoriaux adaptés aux réseaux sociaux, une émission de TV sur LCP, un documentaire, un mini-site… Cet exercice a le mérite de montrer comment les médias (et notamment les plateformes sociales) peuvent soutenir la visibilité des progrès sociétaux. 


Un monde métamorphique 

 

Pour synthétiser ces métamorphoses, on pourrait être tenté.e de faire un lien avec le métamorphisme (qui n’est autre que la métamorphose des roches), qui se définit comme suit : “l’ensemble des transformations subies à l’état solide par une roche sous l’effet de modifications des conditions de température, de presse, de la nature des fluides minéralisés ou de la composition chimique de la roche”*. Il peut se caractériser par la disparition de minéraux instables, l’apparition de minéraux stables et la présence de minéraux originels. Autrement dit, ce phénomène se traduit par la coexistence des strates de l’ancien, du nouveau et de l’existant réinventé, comme autant de fenêtres ouvertes dans nos navigateurs. Ainsi défini, le monde d’après est déjà advenu. En effet, nous sommes dans un monde augmenté depuis quelques années, entre applications et QR codes nous permettant de scanner et de faire dialoguer réel et monde virtuel contenant tous deux des informations complémentaires. Nos ressources attentionnelles étant à la fois précieuses et limitées, espérons, au passage, qu’avec autant d’informations le contenant (nous, la Terre et ses habitant.es de toute nature) n’arrive pas à saturation ou aux débordements. Et le premier de ces débordements est, qu’aveuglé.es par les vernis du moyen, nous perdions de vue la fin.  

Métamorphoses et utopies

En 1932, Aldous Huxley choisit de faire figurer une citation du philosophe Nicolas Berdiaev en préface de son “Meilleur des Mondes”.  “Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?… Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront au moyen d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins « parfaite » et plus libre”. 

Cette notion de perfection citée par le philosophe né dans l’Empire russe entre en résonance avec des propos tenus par Jean Baudrillard dans son ouvrage “Mots de passe” à l’égard du virtuel : “Le virtuel n’est (alors) qu’une hyperbole de cette tendance à passer du symbolique au réel _ qui en est le degré zéro. En ce sens, le virtuel recoupe la notion d’hyper-réalité. La réalité virtuelle, celle qui serait parfaitement homogénéisée, numérisée, “opérationnalisée”, se substitue à l’autre parce qu’elle est parfaite, contrôlable et non contradictoire.” Sur la fin de l’histoire, le philosophe ne se prononce point : “Au stade où nous en sommes, on ne sait si - point de vue optimiste - la technique arrivée à un point d’extrême sophistication nous libérera de la technique elle-même, ou bien si nous allons à la catastrophe.” Parfois, comme dans le mythe d’Œdipe, nous serions tenté.es de connaître l’avenir, mais nous ne sommes pas à l’abri, une fois celui-ci révélé, de refuser ce qui s'impose. Notre destin n’est pas encore promis à un dénouement aussi terrible que celui du roi grec, il est encore temps et en notre pouvoir de soigner le comment (avec quoi) et le pour quoi, en deux mots, et donc l’intention et la vision : en vue de quoi. Christophe Colomb avait déjà fait l’erreur en 1492, pensant ouvrir des voies nouvelles vers un monde, non pas nouveau lui, mais qui semblait la promesse d’un Eldorado et qu’il souhaitait “donner au roi et à la reine”. Une invitation à penser à la fois la direction à suivre mais aussi les moyens à employer, et à permettre la rencontre des deux, en se fondant sur l’humilité, le discernement, un sens aigu de l’équité et du bien commun, qui comprend aussi le respect du vivant. Sans quoi, il ne nous restera, en lieu et place de pourquoi, qu’à exclamer un grand “Quoi !?”?

* http://eduterre.ens-lyon.fr/

1 J'aime
939 vues Visites
Partager sur
  • tendances
  • communication
  • PROSPECTIVE
Retours aux actualités

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

TRIBUNES

L’éco-anxiété dans les organisations : comment les communicants peuvent-ils agir ?

EC

Equipe Com-Ent

07 février

2

TRIBUNES

L'IA arrive... Et alors ? Concentrons-nous sur l'art de raconter de belles histoires et de créer de l'émotion !

VS

Vincent Stilinovic

16 février

2

FUTUR

2030 : l’odyssée du communicant

VS

Veronique Souchet

06 février

2